La prospective aide les organisations à anticiper les changements, renforcer leur stratégie et imaginer des futurs désirables, en s’appuyant sur des tendances, des signaux faibles et des scénarios plausibles pour agir avec lucidité.
>>> Cet article s’inscrit dans une série qui aborde les concepts clés de La Fresque de l’innovation ©, un atelier ludique et participatif pour diffuser la culture de l’innovation.
Pourquoi faire de la prospective ?
« L’avenir appartient à ceux qui sauront imaginer le long terme. »
Yves Coppens – Paléoanthropologue et membre de l’Académie des sciences
L’aveuglement stratégique
Imaginez un capitaine qui navigue dans le brouillard sans boussole. C’est un peu ce que ressentent de nombreux dirigeants lorsqu’ils tentent de prendre des décisions sans vision claire de l’avenir. Ils avancent à tâtons, dans un monde en perpétuelle mutation, confrontés à des ruptures technologiques, des bouleversements géopolitiques ou des attentes sociales changeantes.
Le problème ? Les stratégies basées uniquement sur les tendances passées deviennent vite obsolètes. L’impression d’être constamment en réaction, jamais en avance, épuise les équipes. On subit les changements au lieu de les anticiper. Cela peut conduire à des décisions court-termistes, des investissements mal orientés ou des opportunités manquées.
Devenir capitaine du navire… avec une carte du futur
La prospective vous offre un autre chemin : celui de la « lucidité ». En imaginant plusieurs futurs possibles, vous vous donnez les moyens d’anticiper, de tester des hypothèses, et de mieux vous préparer aux tournants. Le but recherché est que votre organisation devienne proactive, confiante dans ses orientations stratégiques, capable de faire face à l’incertitude avec agilité.
C’est aussi une formidable opportunité de redonner du sens. En projetant un futur désirable, vous mobilisez vos équipes autour d’une vision inspirante. Vous sortez du quotidien pour construire un cap collectif, ancré dans les enjeux sociétaux de demain.
La prospective, c’est quoi exactement ?
« La prospective, c’est voir loin, penser large, analyser en profondeur et agir avec rigueur.»
Michel Godet – Économiste, prospectiviste français
Construire des scénarios pour explorer les futurs possibles
La prospective est une démarche rigoureuse, mais créative, qui vise à explorer les futurs possibles d’un domaine (énergie, mobilité, travail…) afin de mieux se préparer aux changements à venir. Elle ne cherche pas à prédire, mais à anticiper en construisant des scénarios : des récits cohérents de ce que pourrait être le monde dans 10, 20 ou 30 ans.
On y croise des tendances lourdes (démographie, climat, IA…), des signaux faibles (petites anomalies porteuses d’avenir), des ruptures possibles. L’idée est de stimuler la réflexion stratégique, en confrontant différentes visions du futur, parfois contrastées, voire extrêmes.
Un héritage des années 1950
La prospective prend ses racines dans les années 1950, notamment avec le travail de Gaston Berger, philosophe et haut fonctionnaire français. Il posait une idée révolutionnaire : « L’avenir n’est pas ce qui va arriver, mais ce que nous allons faire. » Il s’agit donc d’un futur ouvert, malléable, que nous pouvons influencer.
Depuis, la démarche a été enrichie par des institutions ou des cabinets spécialisés. En France, le Commissariat général à la stratégie et à la prospective, devenu France Stratégie, continue d’alimenter les réflexions publiques.
Aujourd’hui, des communautés se créent autour de la prospective, comme l’Atelier des futurs qui propose une mine de scénarios prospectifs très utiles pour se projeter dans l’avenir.
Exemples d’entreprises qui utilisent la prospective
« L’avenir ne se prévoit pas, il se prépare. »
Joël de Rosnay – Scientifique et prospectiviste français
Michelin : Le pneu du futur
Michelin a conçu « Vision », un pneu imprimé en 3D, sans air, biodégradable et rechargeable via des modules, né d’ateliers de prospective autour des villes durables. Ce concept radical, anticipant les contraintes environnementales de 2050, a renforcé la position de Michelin comme leader en innovation durable. L’impact s’est déjà fait sentir : meilleure image RSE, différenciation technologique et nouveaux partenariats industriels pour explorer ces technologies à haute valeur ajoutée.
SNCF : Le train du futur à l’épreuve des usages
En intégrant la prospective à sa stratégie d’aménagement, la SNCF conçoit des gares capables de s’adapter à plusieurs futurs : hubs de mobilité douce, tiers-lieux connectés ou plateformes logistiques décentralisées. Ce travail a permis d’optimiser ses investissements immobiliers et d’augmenter la fréquentation de certaines gares réaménagées, avec une hausse des recettes commerciales sur certains sites pilotes, tout en anticipant les mutations de la mobilité urbaine.
La Poste : Réinventer sa mission
Avec la baisse du courrier, La Poste a utilisé la prospective pour imaginer des services de proximité : conciergerie, visites de lien social, livraison éthique. Ces idées issues de scénarios d’évolution des territoires ont permis de reconvertir plus de 10 000 facteurs sur des missions de service à la personne. Résultat : diversification du chiffre d’affaires, image modernisée et renforcement de sa présence sur les territoires ruraux.
MAIF : Assurance et nouveaux usages
Face à l’émergence des voitures autonomes, des nouveaux modes de travail et de la consommation collaborative, la MAIF a initié des ateliers de prospective dès 2016. Elle a ainsi anticipé des besoins en assurance à l’usage, en responsabilité partagée et en mobilité douce. Cela lui a permis de lancer rapidement des offres innovantes, comme l’assurance des trottinettes ou des biens partagés, contribuant à une croissance de 5 % de son portefeuille jeunes.
Leroy Merlin : La maison en 2040
Leroy Merlin a mené une démarche prospective sur l’habitat du futur : maisons modulaires, auto-productrices d’énergie ou partagées entre plusieurs familles. Ces visions ont nourri des innovations concrètes, comme le développement de solutions low-tech ou d’offres de rénovation énergétique clé en main. En 2022, ces services ont représenté 14 % du chiffre d’affaires, avec une satisfaction client en forte hausse. L’enseigne s’impose ainsi comme un acteur engagé et avant-gardiste du logement durable.
Comment faire de la prospective dans votre organisation ?
« Faire de la prospective, c’est articuler incertitude, imagination et rigueur. »
Philippe Durance – Professeur au CNAM, spécialiste de la prospective stratégique
Voici 4 étapes clés pour vous aider à mettre en œuvre une démarche de prospective dans votre organisation.
1. Définir un périmètre clair et stratégique
Avant de vous lancer, il est essentiel de cadrer votre démarche. Posez-vous la question : quel est l’enjeu que vous voulez éclairer ? La prospective peut vite devenir une usine à gaz si elle n’est pas ancrée sur une problématique stratégique réelle.
Exemples de bonnes questions :
- « Quel sera le rôle de notre entreprise dans une société bas-carbone ? »
- « Quels nouveaux usages nos clients adopteront-ils d’ici 10 ans ? »
- « Quel futur pour notre modèle d’affaires si le numérique est réglementé plus fortement ? »
Conseil : Ne cherchez pas un sujet trop large (« le monde dans 30 ans »), ni trop restreint (« notre process RH interne »). Trouvez le bon niveau de zoom pour que la réflexion reste à la fois inspirante et utile à vos choix futurs.
2. Identifier les tendances lourdes et les signaux faibles
C’est le moment d’ouvrir les antennes. Balayez votre environnement à 360°. Quels sont les mouvements de fond qui transforment déjà votre secteur ? Quelles micro-tendances pourraient bouleverser la donne ?
Outils à mobiliser :
- Recherches documentaires, veille partagée,
- Interviews d’experts ou parties prenantes,
- Ateliers d’intelligence collective.
Un signal faible, c’est un petit indice qui semble anodin aujourd’hui, mais qui peut annoncer une transformation majeure demain. Exemple : des jeunes qui abandonnent le permis de conduire, ou une startup qui propose un revenu universel en crypto.
Astuce : Variez les sources (scientifiques, artistes, sociologues, startuppeurs…) pour ne pas rester prisonnier de votre prisme métier.
3. Construire des scénarios contrastés mais plausibles
C’est le cœur créatif de la démarche. L’idée est de bâtir plusieurs futurs possibles à partir des éléments identifiés, sans chercher à deviner lequel sera “le bon”. Il s’agit de tester votre imagination stratégique.
Comment faire ?
- Regroupez vos tendances en grandes incertitudes (ex : “les gens vivront-ils encore en ville ?”)
- Croisez deux incertitudes majeures sur un axe (matrice 2×2)
- Donnez vie aux 4 mondes possibles : nommez-les, décrivez-les, racontez-les.
Exemple de scénarios :
- « Le tout-IA » : l’automatisation s’impose, les métiers changent radicalement.
- « Sobriété contrainte » : l’énergie devient rare, les comportements s’adaptent.
- « Fragmentation mondiale » : chaque région suit sa propre voie.
Conseil : Rendez les scénarios vivants. Utilisez des personnages fictifs, des récits, des images, pour qu’ils soient mémorables et inspirants.
Astuce : pour gagner du temps, vous pouvez aussi utiliser des scénarios déjà écrits. Le site Atelier des futurs propose un certain nombre de fictions très intéressantes sur leur page Anticipascope.
4. Tester vos décisions à l’épreuve des scénarios
Une fois vos scénarios définis, mettez-les à l’épreuve. Prenez une décision stratégique réelle (ou envisagée) et simulez-la dans chacun des futurs possibles.
Exemple : vous prévoyez d’ouvrir un nouveau service numérique. Que devient-il :
- Dans un monde ultra-connecté et fluide ?
- Dans un futur où les usages numériques sont rejetés ?
- Si une crise énergétique oblige à repenser la tech low impact ?
Objectif : évaluer la robustesse de vos projets. Certains choix sont-ils “bons” quel que soit le futur ? D’autres sont-ils trop dépendants d’un seul scénario ? Faut-il diversifier vos paris ou pivoter ?
Astuce : Réalisez cet exercice en groupe pour croiser les regards, réduire les angles morts et mieux arbitrer vos options.
Et maintenant ?
« La meilleure façon de prédire l’avenir, c’est de le créer. »
Peter Drucker – Théoricien du management
Et si vous faisiez le premier pas aujourd’hui ? Organisez un atelier de deux heures avec votre équipe. Posez la question suivante : « Que se passe-t-il si notre marché est bouleversé dans les 10 prochaines années ? ». Identifiez ensemble 3 tendances clés, puis imaginez 2 scénarios contrastés à partir de celles-ci.
Vous verrez à quel point cet exercice libère la créativité, alimente les discussions stratégiques et renforce la cohésion. Il ne s’agit pas d’avoir raison sur l’avenir, mais d’être mieux préparé et de nourrir une posture collective : être curieux, lucide, prêt à l’inattendu.
Voilà, c’est la fin de cet article. S’il vous a inspiré, n’hésitez pas à le partager avec vos collègues, à en discuter en équipe, ou à me poser vos questions.