L’innovation disruptive – ou aussi appelée innovation de rupture – est un concept dont tout le monde parle. Il se comprend très bien avec l’illustration d’exemples de produits ou de services qui ont su créer un nouveau marché comme par exemple l’Iphone ou Netflix.
Ce sont des exemples d’innovations qui font rêver et qui génèrent une certaine forme d’adulation. Il faut dire que créer un nouveau marché sans concurrence directe est plutôt tentant. Plutôt que de se battre sans cesse sur les prix …
En revanche ce qu’on explique moins, c’est comment y arriver.
- Est-ce dû à la chance ou est-ce prévisible ?
- Est-ce qu’une innovation de rupture est forcément technologique ?
- Y a t’il une méthode à suivre pour créer une innovation disruptive ?
- Quels sont les pièges à éviter ?
Toutes ces questions sont légitimes et méritent d’être posées.
L’innovation disruptive est-elle prévisible ?
A vrai dire, on ne se réveille pas un matin en se disant « Je vais développer un produit de rupture ! ». On cherche avant tout à répondre à des besoins insatisfaits ou à résoudre un problème. En somme, on cherche avant tout à améliorer les choses.
En réalité, il n’y a pas de méthode infaillible pour l’innovation de rupture. Mais il y a malgré tout quelques principes et indicateurs favorables.
A chaque fois que j’ai vu émerger une innovation disruptive, les premiers pas ne prédisposaient pas du tout à un produit à succès créant une rupture sur le marché. A vrai dire, la volonté était là, … mais les doutes aussi ! Les expérimentations et les tests ont à chaque fois impacté la stratégie de l’entreprise. La confiance s’est construite avec le temps, pas à pas.
Mieux comprendre l’innovation disruptive
On fait souvent un micmac entre innovation de rupture, innovation d’usage et innovation technologique. Voyons tout ça ensemble.
L’innovation technologique
C’est l’utilisation d’une nouvelle technologie qui apporte des performances supérieures et des fonctionnalités nouvelles à un produit. Sur un marché déjà existant et mature, une nouvelle technologie pourra aider au perfectionnement d’un produit et résoudre quelques contraintes. Dans ce cas, on parlera plus d’innovation incrémentale.
L’innovation technologique demande souvent beaucoup de moyens. Intégrer une nouvelle techno dans un produit nécessite souvent de nombreux investissements. Au niveau humain pour dompter la technologie, mais aussi au niveau financier pour l’adapter au produit.
L’intégration d’une nouvelle techno peut aussi coûter plus cher au début pour le client. Ce qui peut être éventuellement un frein pour accéder au marché.
La marque Balolat a vraiment réalisé des prouesses technologiques en intégrant dans une raquette de tennis : un capteur 6 axes, un accéléromètre, un gyroscope, un capteur piézoélectrique, un batterie lithium, une connectivité Bluetooth et une sortie micro USB sans pour autant en changer la maniabilité.
Au final, ce produit est innovant technologiquement, mais ne révolutionne pas la pratique du tennis. C’est un plus indéniable pour analyser son jeu, faire des progrès et partager ses performances. Mais cela ne crée pas une rupture sur le marché.
L’innovation d’usage
C’est tout simplement un produit qui change la manière de faire les choses. Cela peut être une astuce sur une fonctionnalité, ou une nouveauté qui s’inscrira dans l’amélioration continue d’un produit. Dans ce cas on parlera plus d’une innovation incrémentale.
En utilisant des technos existantes, on peut réussir à changer radicalement la pratique de l’utilisateur. Comme par exemple un critère de performance exploité à fond, ou carrément une manière de faire complètement nouvelle allant jusqu’à la naissance d’un nouvel usage.
Ce nouveau conditionnement a répondu à un vrai besoin d’usage de la part des consommateurs qui en avait marre d’utiliser le pot en verre et de subir toutes les contraintes que cela comporte. C’est une innovation d’usage astucieuse et pratique.
L’innovation d’usage demande généralement peu de moyens. Elle est essentiellement portée par une bonne observation des utilisateurs et se construit sur la base de technologies connues. Du coup, elle peut rapidement arriver sur le marché avec un bon retour sur investissement.
Innover par l’usage implique de se concentrer sur l’utilisateur et donc de simplifier la vie des gens. Cette valeur d’usage et de simplicité s’illustre souvent par des produits astucieux et pas forcément très chers. Ce qui revêt un avantage certain pour en faire un produit qui satisfasse le plus grand nombre.
L’innovation disruptive
L’innovation de rupture est une innovation qui s’appuie finalement sur une innovation d’usage ou une innovation technologique, ou sur les deux à la fois comme l’Iphone d’Apple. La rupture fait tout simplement référence au fait de créer un nouveau marché, une nouvelle catégorie de produits.
Tout d’abord, l’innovation disruptive crée un nouveau marché qui apporte suffisamment de valeur pour exister en marge de l’ancien. Puis généralement, elle le dépasse, le rend obsolète, voire le ringardise. En réalité, l’innovation disruptive n’apporte pas une valeur ajoutée, elle en crée une nouvelle.
La tente 2 secondes de Quechua a, l’air de rien, révolutionné le monde de la randonnée et du camping. Des non-randonneurs se sont mis à l’utiliser, car très facile à monter et avec un prix vraiment abordable.
Ce produit a créé une véritable rupture sur le marché en ringardisant les tentes traditionnelles beaucoup plus galères à installer. C’est devenu un succès planétaire.
En revanche l’innovation de rupture a un risque élevé parce qu’elle est tout simplement liée à l’acceptation du changement. Et tout le monde n’est pas prêt à changer à la même vitesse. Certaines innovations de rupture sont arrivées trop tôt sur le marché.
C’est l’exemple du photocopieur couleur de 3M commercialisé en 1972. Cette innovation est arrivée trop tôt, car tout était en noir et blanc à cette époque. Les clients n’étaient pas prêts à passer à la couleur. Et pourtant, qui irait acheter aujourd’hui une photocopieuse noir et blanc …
De plus, pour que la rupture existe, il faut qu’elle puisse être accessible au plus grand nombre. Ceci ne pourra se faire que si la nouvelle valeur créée est forte mais aussi si le coût est abordable voire plutôt bas. Plus l’écart entre la valeur perçue et le prix sera important et plus l’envie d’acheter sera forte.
Un peu d’histoire
C’est Clayton Christensen, en 1995, qui explicite ces notions pour la première fois. Il explique la différence entre l’innovation incrémentale et l’innovation disruptive.
« Les innovations disruptives sont celles qui provoquent une rupture dans l’ancien modèle d’affaires. Elles privilégient généralement l’émergence de nouveaux entrants » Clayton Christensen
Dans la théorie de Christensen, l’innovation disruptive décrit un processus précis :
- Un acteur lance un nouveau produit ou service pas forcément meilleur que l’offre existante.
- Ce nouveau produit séduit une niche d’utilisateurs insatisfaits par les offres existantes.
- Ce nouvel acteur améliore son produit au fur et à mesure et prend de plus en plus de part de marché.
- Les acteurs existant se concentrent sur leur cœur de marché rentable malgré l’évolution du nouveau marché parallèle.
- Le nouveau marché devient important et les acteurs existants sont face à un dilemme.
- Le dilemme : se positionner sur le nouveau marché et risquer de détruire leur business model qui a toujours été rentable jusqu’à maintenant OU se faire progressivement évincer par les nouveaux entrants.
Les exemples de Kodak avec l’évolution de l’appareil photo vers le numérique, ou celui de Nokia avec l’avènement du smartphone illustrent parfaitement le processus qui a provoqué leur perte de leadership. Ce qui est d’autant plus remarquable, c’est la rapidité à laquelle le marché peut basculer.
Et le plus triste dans le cas de Kodak, c’est quand le propre créateur de l’innovation disruptive, n’y a pas cru… C’est là où l’on voit l’intuition que doit avoir un chef d’entreprise pour prendre les bonnes décisions. L’approche uniquement financière ne suffit pas …
Les facteurs favorables à l’innovation disruptive
Autant il est facile de comprendre le processus qui conduit à une innovation disruptive, autant il est difficile de le mettre en place. Il est toujours plus difficile de faire … que de comprendre.
Ceci dit, il existe tout de même des principes favorables à l’émergence d’une innovation disruptive.
1 – Observer
La base d’une innovation de rupture est de proposer quelque chose de réellement nouveau. Mais c’est surtout de mettre le doigt sur ce qui enquiquine les gens. Proposer ce qui n’existe pas, mais dont tout le monde a besoin.
L’observation des utilisateurs tient une place cruciale dans le processus créatif. Je vous invite à passer du temps avec vos utilisateurs. Les regarder faire et saisir les points d’insatisfaction de l’offre actuelle. Mais aussi, saisir leurs comportements qui, sans qu’ils ne s’en rendent compte, peuvent traduire une insatisfaction « acceptée ». Il est toujours plus facile d’innover en partant d’un problème.
N’hésitez pas non plus à mettre en place à ce moment-là une interview utilisateur : découvrez ma liste de 40 questions à poser.
Faites du benchmark dans des univers proches. Et faites jouer à plein les associations d’idées. Il y a plein d’idées directement transposables sur votre marché. C’est l’intérêt que vous porterez à des secteurs différents du vôtre, qui vous permettra de saisir des opportunités.
2 – Oser
Un des pièges dans le processus d’innovation est de ne pas oser et de rester dans une zone de confort. Ce qui conduit inévitablement vers une innovation incrémentale qui ne fait qu’améliorer partiellement les solutions existantes.
Alors qu’en revanche, une innovation de rupture apporte un bénéfice inespéré aux clients qui étaient jusqu’à maintenant insatisfaits, ce ne serait que sur une seule fonctionnalité du produit.
Pour réussir à trouver ce genre d’idée originale, rien de tel que d’utiliser des outils de créativité, tels que la méthode TRIZ. Ils vous permettront de pousser très loin « le booster de la fusée » pour vous décoller de l’attraction de vos habitudes. Vous devez libérer l’inventeur qui est en vous.
Car un des freins à l’innovation est la fixation que l’on fait sur des choses existantes. Notre esprit est comme piégé dans un monde de certitudes duquel il faut réussir à s’extraire. Alors qu’au contraire, il est préférable d’entretenir le doute et de cultiver un esprit ouvert.
Il y a plein d’idées géniales … qui malheureusement restent dans des cartons. Il faut oser les prototyper pour leur donner vie. Même si on se trompe, ce n’est pas très grave : on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs.
3 – L’avis du client
Au plus tôt, et ce avant d’investir trop de moyens, vérifiez l’intérêt des clients pour votre offre innovante. En montrant un prototype fonctionnel, un Produit Minimum Viable, vous obtiendrez de nombreux feedbacks qui vaudront de l’or :
- mesure de « l’effet waouh »,
- intérêt des fonctionnalités apportées,
- l’identification des premiers utilisateurs et prescripteurs intéressés par ce produit,
- les avantages à mettre en avant et qui feront la différence,
- les points techniques à revoir absolument,
- les réticences qu’il faudra lever pour convaincre d’adopter le produit,
- la taille potentiel du marché : point important pour pouvoir amortir vos coûts de développement et/ou intéresser des investisseurs.
4 – Viser une niche
Sur un marché établi, on ne peut pas satisfaire tout le monde avec un nouveau produit. D’autant plus s’il est vraiment différent des autres. Le marché a besoin de temps pour l’adopter.
En revanche, vous aurez forcément un public qui lui sera fan de votre proposition. Un public qui verra votre concept comme une solution inespérée à leur problème. C’est cette niche que vous devez cibler en un premier temps. Ce sont ces utilisateurs qui deviendront vos ambassadeurs et qui feront le buzz, même si votre solution est encore imparfaite sur d’autres critères. Rassurez-vous toutes les idées naissent imparfaites, il faut juste accepter le premier pas.
Viser une niche permet aussi de limiter les efforts de R&D en répondant à un usage particulier. Une fois le produit adopté et les premiers résultats atteints, vous pourrez viser un marché plus large et investir plus d’argent au niveau technique et marketing.
Et maintenant ?
En conclusion, l’innovation disruptive n’est pas un mythe car certains y arrivent. Mais il n’y a pas non plus de solution miracle pour y arriver. Il y a juste des principes favorables et un bon état d’esprit à avoir. D’ailleurs, les entreprises qui ont réussi ont généralement suivi un cheminement similaire.
L’important est de se lancer, faire des essais et des tests en impliquant le client au plus tôt. Car l’expérience utilisateur joue un rôle essentiel dans le succès de l’innovation.
Il faut garder en tête que cela ne se fera pas du jour au lendemain. C’est un processus qui prend du temps, avec des hauts et des bas. Il ne faut pas attendre une solution miracle qui vous apportera un relais de croissance du jour au lendemain.
Voilà, c’est la fin de cet article. Si vous avez trouvé le contenu intéressant, n’hésitez pas à poster vos commentaires ou vos questions en bas de cette page, et à le partager avec vos amis ou vos collègues si vous pensez que ça pourrait leur être utile ! 🙂